Pourquoi avoir choisi Lilith comme figure féminine finale de notre spectacle ?

Qui est donc Lilith, cette figure féminine qui dans la tradition juive est réputée avoir été la première compagne d’Adam ? En partie oubliée par l’histoire et les textes d’exégèses issus de la chrétienté, Lilith prit une place sporadique et trouble dans les différents systèmes de croyances judéo-chrétiens portés sur la Femme et sa sexualité.

Cette démone est en effet au carrefour de plusieurs religions et demeure, semble-t-il, la figure féminine qui témoigne le plus universellement des craintes, préjugés et désirs portés sur la Femme et ses mystères supposés. On la retrouve au centre de plusieurs mythes hérités de populations diverses, ce qui pourrait témoigner d’une structure unitaire du penser humain concernant le féminin.


Où trouve-t-on la figure de Lilith ?

Lilith n’a pas été inventée par la religion Juive car elle existait déjà bien avant.

Lilith est une grande déesse vénérée en Mésopotamie depuis le début de l’histoire. On la retrouve successivement à Sumer (4000 ans avant notre ère) puis dans les civilisations d’Ur en Chaldée, d’Uruk, de Lagsh, de Nippur, de Babylone, d’Assyrie… Selon le mythe cosmogonique d’origine, le dieu du vent LI ou Enlil engendre deux démons : un mâle Lilu, esprit de lascivité séduisant les femmes dans leur sommeil et une femelle Lilitu ou Ardat Lili, sous la forme d’une louve à queue de scorpion qui dévore les enfants. Les récits hébraïques et juifs la présentèrent sous l’aspect d’une démone aux attributs masculins et dévorateurs.

Malgré cette présence dans la littérature juive, on ne la trouve guère présente dans les écrits de la chrétienté antérieurs au XVIe siècle. Les versions de la Bible et conceptions chrétiennes ne gardèrent pour figure centrale du mythe de la création qu’une seule femme : l’Ève que nous connaissons. Selon les croyances, Lilith fut remplacée par cette femme plus sage. Il faut attendre la Renaissance pour trouver le nom de Lilith dans les écrits chrétiens.


Une figure aux représentations terriblement monstrueuses et ambivalentes

La femme obscure qu’est Lilith peut prendre plusieurs visages ; ceux de l’antique Circé, de la terrible Gorgone Méduse et de toute femme terrifiante qui séduit ou révulse par ses attraits hors du commun.

Les nombreux passages du Talmud font mention de Lilith comme un animal sauvage suceur de sang, elle prend ainsi le visage d’une lamie, « vampire » au féminin. Elle peut être également rapprochée des vouivres et des harpies : toutes porteuses d’une séduction dévastatrice. La reine de Saba, la poseuse d’énigme, la tentatrice de Salomon n’était autre que Lilith…

Comme toutes les sorcières, Lilith est capable de voler, elle relève à la fois du poisson, de l’oiseau et du serpent. On trouve sa trace chez Lamia (mythe grec), Mélusine (conte médiéval).

On trouve également dans la mythologie nordique une déesse des eaux, créature ou génie ni mâle, ni femelle, qualifié depuis le XVIe siècle d’Ondine. Lilith peut également être représentée parée des attributs du vent, de la nuit, des forces démoniaques qui troublent les sens et les obscurcissent.

Elle est donc vraisemblablement issue d’une croyance au carrefour de plusieurs civilisations : un concentré de craintes constitutives d’une unité de l’humain, voire de l’homme.

Les caractères telluriques et maritimes qui donnent à la démone l’aspect d’un monstre, d’un batracien ou d’un amphibien, la dévoilent comme hybride, aussi présente sur terre que dans l’eau … peut-être même n’a-t-elle aucun des deux sexes. Ni féminine, ni masculine ? … Comme les premières tentatives de Dieu selon les premiers récits de la genèse dans le Talmud de Babylone …

Lilith concentre en elle toutes les peurs inconscientes qu’inspirent les femmes, hier comme aujourd’huiC’est dans la tradition rabbinique juive et à la période médiévale que le mythe de Lilith va atteindre son apogée de précision et de monstruosité.

Femme aux formes sexuelles exagérées, elle est représentée très souvent avec un ventre énorme renfermant des torrents de sperme. Lilith est une mère à la fois dévoreuse et pourvoyeuse qui accumule ce dont elle se nourrit jusqu’à l’excès. Dévorant le sperme des hommes jusqu’à leur total épuisement, Lilith pousse les hommes à des « consommations improductives » de leur énergie. Elle est de plus ravisseuse et dévoreuse d’enfants, ce qui laisse supposer qu’elle étouffe toutes les forces reproductrices jusqu’à les rendre stériles. Elle apparaît toujours comme un démon nocturne et néfaste qui concentre en elle la mort. On retrouve ici le serpent tentateur, thème cher à la Genèse, sous la forme de cette femme séduisante en tous points, mais qui garde en elle le secret de sa nature. « Homme par les attributs qu’elle cache, femme par ceux qu’elle peut montrer », sa queue de serpent lui donne les attributs d’une femme phallique qui dépasse l’humain grâce à l’association des deux genres sexués. Il s’agit d’un être unifié réunissant en son sein des forces opposées. Lilith est véritablement transgressive et à ce titre résolument moderne, sur la question du genre et de son hybridation.

LILITH est en effet la première compagne d’Adam, mais concentre en elle tout l’envers symbolique d’Ève, son envers et également son complément masculin. Puissante, elle polarise toutes les peurs qu’inspire la femme fatale. Pourvoyeuse de plaisir et potentiellement dangereuse pour les autres femmes fertiles elle l’est aussi pour l’homme lui-même. Tout cela parce qu’elle a refusé d’être soumise au diktat d’Adam en refusant de faire l’amour toujours sous lui et du Dieu créateur en préférant quitter le paradis que d’obéir à cette injonction infondée selon elle, puisque créée en même temps qu’Adam et de la même matière.

Adoptée au départ par des féministes américaines qui la font revivre comme symbole de l’indépendance des femmes car elle est la première à défier l’autorité des hommes, elle revient doucement à la surface du XXIème siècle pour revendiquer plus largement la totale liberté d’exercice de l’identité de chacun.